Samedi. Je n’avais pas réellement de journée de congé, en fait je ne prenais simplement pas la peine d’en avoir. J’aimais mon travail et c’est ce qui constituait ma vie, c’est ce qui prenait la plus grande partie de mon temps. Pour moi, les criminels n’avaient pas le droit d’avoir de congé, si je le pouvais, je passerais mon temps à travailler, mais j’allais finir par me tuer au travail. Je n’avais plus grand-chose, ma vie avait été longtemps perdue, tous ceux que j’aimais n’étaient plus de ce monde. Il y avait bien quelques personnes qui me tenaient à cœur, Isobel par exemple, une femme super, mais plus le temps passait plus j’avais peur qu’il lui arrive quelque chose par ma faute. S’il lui arrivait quelque chose, je ne sais pas si j’allais pouvoir m’en sortir. Je m’en voulais tellement pour ce qui était arrivé à ma femme, j’avais des remords tous les jours et la nuit, je faisais souvent des terreurs nocturnes ou je voyais son corps inerte et sa peau trop froide. Il était tard quand j’étais sortie de mon bureau, j’étais dans une enquête sur le viol et le meurtre d’une petite fille de huit ans. C’est ce qui me dégoutait le plus dans mon métier. Comment quelqu’un pouvait s’en prendre à un enfant, comment quelqu’un pouvait avoir envie de violer une petite fille de huit ans et de la tuer après? À chaque fois que je voyais le corps de la victime, je donnerais ma vie contre la sienne. Ce n’est pas comme si je tenais réellement à la vie que je menais de toute façon. Mon seul but était de retrouver ceux qui faisaient du mal aux autres et de le laisser croupir en prison pour le reste de leur vie. Parfois, quand je voyais leur visage satisfait j’avais envie de leur tirer une balle entre les deux yeux et de les tuer, mais je me disais que c’était trop gentil, c’était une issue trop facile pour ce qu’ils avaient fait. Je me retenais de leur balancer un coup de poing en plein visage, ce n’était pas toujours facile. J’en voulais à tous les tueurs, violeurs, kidnappeurs, pour faire souffrir des gens comme moi j’avais souffert. Je sortais donc de mon bureau, laissant ses idées noires derrières moi, mais je n’étais jamais complètement capable de penser à autre chose. Il y avait tellement de choses que je devais faire et auxquelles je devais penser.

Quand je poussais la porte du poste de police, je pouvais me rendre compte que le soleil avait déjà quitté le ciel. Il faisait noir. Je poussais un soupir avant de détacher rapidement la cravate qui se trouvait à mon cou et je me dirigeais vers ma voiture. Une BMW noir à vitres teintées, un moteur qui me permettait de poursuivre les criminels et de rouler à une vitesse fulgurante. Je me mettais donc en route vers ma demeure, j’avais envie de prendre une bonne douche et de me changer. Je n’aimais pas me balader en costume, mais je n’avais pas le choix de le faire quand je travaillais. Le chemin ne fut pas long et je me stationnais dans ma voiture. En entrant dans ma maison, je déboutonnais ma chemise que je laissais tomber dans le panier à vêtements usés qui se trouvait dans ma salle de bain, je retirais le reste de mes vêtements pour filer sous la douche. J’ouvrais l’eau et me glissait sous le jet, je laissais l’eau couler sur mon visage et des images me venaient en tête. Je pensais à ma femme, à quel point elle me manquait et à quel point j’étais incapable de tourner la page. Chaque jour, les images de sa mort me venaient en tête. Je l’avais aimé, je l’aimais encore et je pense que je l’aimerais toujours. Je glissais rapidement une main sur mon visage, quelques larmes venaient se mélanger à l’eau de la douche qui coulait sur mon visage. Je voulais me changer les idées et je savais que si je restais chez moi ce soir j’allais avoir des idées noires, surtout avec ce que j’avais vu pendant la journée.

Je sortais de la douche et j’enfilais un jeans et chemise noire légèrement ouverte sur mon torse. Je séchais rapidement mes cheveux sans trop prendre la peine de les coiffer, j’avais une barbe de quelques jours, mais ça n’avait rien d’alertant, j’allais me raser demain, ce soir je n’avais pas envie. Je mettais du parfum et j’enfilais des chaussures noires avant de me rendre une nouvelle fois à ma voiture. J’avais besoin d’un verre, ou deux. De toute façon, je n’allais pas dormir, comme chaque nuit qui s’offrait à moi, elles étaient plus mouvementées les unes que les autres. Un verre. C’est de ça que j’avais besoin même si je me doutais que je n’allais pas me limiter à un seul. Je me rendais donc au Fury bistro-bar, je me garais et j’entrais pour me trouver une table qui était un peu plus reculé. Je n’avais pas envie de parler à qui que ce soit, mais comme à chaque fois que je venais, quelques demoiselles venaient prendre place à ma table. Je leur faisais gentiment comprendre de me laisser en paix, c’était toujours la même histoire, la même routine. Je me commandais donc une bière que je buvais rapidement et je m’en commandais une autre. C’est quelques instants plus tard que je voyais une jeune blonde se diriger vers moi, je l’avais déjà croisé quelquefois et elle m’avait ramassée alors que j’étais ivre mort. Je n’étais pas très fière de moi, mais je ne lui avais pas non plus demandé d’aider. Je le laissais donc venir sans dire un mot, je prenais une nouvelle gorgée de mon verre et une fois qu’elle se trouvait devant moi, je posais mon regard sur elle. Je savais que si je lui disais de partir, elle n’allait pas le faire alors je me contentais de lui répondre. « -En effet. Il faut croire que nous fréquentons le même genre de bar.» Je n’étais pas le genre d’homme bavard, mais j’étais souvent quelqu’un de courtois et poli. Je me disais qu’un peu de compagnie n’allait pas me faire de mal, ce n’est pas comme si j’avais le choix de toute façon.

Je ne voyais que les côtés sombres parce qu’il n’y avait pas d’autre chose à voir, plus le temps passait plus je me sentais mal en rapport à ce qui était arrivé à ma femme. Plus le temps passait plus je sentais la pression sur moi, le mal que cela me faisait. Je me sentais tellement coupable de n’avoir rien pu faire pour elle alors que je savais que c’était à cause de mon travail si elle était morte. C’est à se demander pourquoi je le pratiquais encore. Si je cessais de le faire, je n’aurais plus rien et j’aurais tout mon temps pour penser à ma défunte femme et ce n’est pas ce que je voulais parce que j’étais incapable de m’en remettre et incapable de passer à autre chose, c’était un mal qui me rongeait depuis des années et c’était impossible de m’en défaire, surtout que je m’en sentais coupable. Ce soir, je me sentais mal, j’avais vraiment eu une journée difficile et j’avais besoin de penser à autre chose. C’est pour cette raison que je me rendais dans ce bar où j’avais l’habitude de me rendre pour prendre un verre, parfois un verre de trop, mais je n’étais pas le genre de client dérangeant. J’étais plutôt du genre à me tenir tranquille dans un coin et boire jusqu'à ce que mort s'ensuive. C’est ce que je faisais ce soir, je tentais de me change les idées. Je venais tout juste de me poser à ma table et de commencer à prendre ma bière qu’une jeune femme que je connaissais un peu trop venait me rejoindre. Je laissais mon regard se poser sur elle, je ne disais rien de plus pour le moment. Je savais qu’elle n’allait pas me laisser en paix, je savais qu’elle allait jeter son dévolu sur moi. Je me demandais ce qu’elle pouvait bien me vouloir et je me demandais qu’est-ce que cela lui apportait de venir me voir à chaque fois qu’elle me croisait. Je prenais mon verre le portant une nouvelle fois contre mes lèvres pour en boire une longue gorgée avant de le reposer devant moi. Je le laissais me narguer, ce ne me faisait ni chaud ni froid, mais je n’abordais jamais les gens de cette façon, je me demandais ce qu’elle pouvait bien en tirer de toute façon. « -Oui surement que tous les gens qui se trouvent ici sont des âmes en peine, ils n’en ont pourtant pas l’air. Je trouve qu’ils ont plutôt l’air de s’amuser non?»

Je faisais un vague signe de la main pour montrer les gens derrière nous qui enchainaient les verres et qui trinquaient. Il ne semblait pas du tout fuir leur problème, mais plutôt prendre du bon temps. Je reposais donc mon regard sur elle, prenant une nouvelle gorgée de mon verre. Je ne lui disais pas de partir, même si je n’avais pas réellement envie de faire la conversation. Mon temps était neutre, sans être amical ou désagréable. La demoiselle se remettait à parler et je l’écoutais d’une oreille quelque peu attentive alors que je jetais un regard rapide à la place. Il y avait des tas d’hommes seuls qui rêvaient surement d’avoir la jeune femme comme compagnie, ce n’était visiblement pas mon cas alors je me demandais ce qu’elle avait à s’acharner sur moi. J’étais sa bonne action de la journée. Heureusement pour elle, j’étais quelqu’un de poli alors j’allais garder ce genre de penser pour moi. Je poussais un léger soupire, qu’est-ce que j’allais pouvoir lui raconter, pas grand-chose. Je ne pouvais pas parler de mon métier, je ne voulais pas parler de ma vie et ce n’était pas mon genre de parler de chose totalement futile et superficielle. « -Je sais très bien que tu ne vas pas me laisser tranquille, ce n’est pas la première fois que tu me fais ce genre de réflexion. Tu sais, il y a des tas d’hommes qui rêveraient de t’avoir à leur table alors je me demande pourquoi tu prends la mienne.» Je portais encore mon alliance, je ne l’avais jamais retiré depuis que je m’étais marié avec ma femme et je ne comptais pas le faire jusqu’à ma mort, même à ce moment je ne voulais pas qu’elle me soit retiré. Je l’aimais encore et surement que j’allais l’aimer toute ma vie, c’était un fait avec lequel je ne pouvais pas jouer, c’était comme ça simplement. « -J’ai l’habitude de trainer avec des tueurs en série alors une de plus ou une de moins, ça ne change pas grand-chose. Tu sais, je n’ai pas pratiquement rien à te compter, je ne fais que travailler et je ne peux pas parler de mes enquêtes, sinon ma vie n’a rien d’intéressant autre que je vois des cadavres tous les jours et je me doute que ça ne t’intéresse pas et même si c’était le cas, je ne peux pas en parler alors je ne vois pas de quoi je pourrais te parler.»